«A la recherche du rêve américain perdu»

Le photographe valaisan Claude Dussez publie «LOST» aux Editions Favre. Un livre qui nous emmène dans les ruines du rêve américain, le temps d’un périple en noir et blanc empreint d’une nostalgie que rehausse un poème de Quentin Mouron.

Sur la photo de couverture, on voit l’ombre du photographe se refléter dans une vitre du Roy’s Motel Café, dont l’enseigne est bien visible en arrière-plan. On voit aussi très bien ce que le photographe peut contempler devant lui: le comptoir de la réception du motel, sur lequel on devine un vieux téléphone à cornet. Une horloge murale indique 17 heures. Il n’y a personne pour recevoir les clients et on dirait que le temps s’est arrêté…

Cette image inaugurale donne le ton de «LOST», le bel ouvrage que le photographe martignerain Claude Dussez vient de publier aux Editions Favre et qu’on pourrait définir comme un road-trip nostalgique dans un paradis… perdu. C’est que, situé aux abords de la mythique Route 66, à Amboy en Californie, le Roy’s est, comme bien d’autres, un motel abandonné. Partiellement restauré, il n’est plus que l’ombre de l’Amérique clinquante des années 60, qu’une ruine abritant des illusions balayées par le vent et bientôt recouvertes de sable.

Perdu, le photographe l’est lui aussi (d’où le titre évidemment) dans ce qui reste inamovible au pays de l’Oncle Sam: l’espace, l’immense espace qu’est celui des Etats-Unis. En filigrane du titre «LOST», qui trône en majuscule sur la couverture du livre, on pourrait donc aussi lire celui de la série américaine des sixties «Lost in Space». Les nombreuses images que Claude Dussez réalise au grand angle se chargent en conséquence d’une fonction supplémentaire: celle de transmettre ce sentiment d’être petit dans quelque chose de trop grand pour nous.

Et c’est en ce sens-là que ses photographies sont comme à l’opposé de celles de Robert Frank dans son célébrissime «Les Américains». Frank, en effet, nous a donné sa vision pessimiste des Etats-Unis avec un 50 mm accroché à son Leica, signe programmatique de sa volonté d’être près des gens. D’ailleurs, des gens, dans «LOST», il y en a bien peu. Et ceux que le photographe a quand même immortalisés –parmi lesquels des badauds dans un bar, un clown triste sur un quai de bord de mer, un surfeur, un cow-boy ou un pêcheur du dimanche– ne semblent que les signes fantomatiques d’une imagerie qui a perdu ses couleurs vives.

Une ambivalence constitutive

Robert Frank, toujours lui, mais également Basquiat, Annie Leibovitz, Lucky Luke, Scorsese ou Frank Zappa sont quelques-unes des icônes dont Claude Dussez, dans la page des remerciements, avoue l’influence qu’elles ont eue sur lui. Avec elles, il s’est construit une Amérique mentale qui n’était pas (ou plus) la même que celle perçue derrière son objectif. C’est la magie de la photographie de permettre au papier sensible de récolter ces deux visions et de les fusionner, de rejouer chaque fois, dans chaque nouvelle image, ce jeu de miroirs et de reflets qui sous-tend la photographie de couverture.

On peut donc regarder «LOST» comme le carnet de voyage d’un enfant qui rêve éveillé dans un monde qui «est» dans le même temps qu’il n’«est plus». Cette ambivalence constitutive de l’ouvrage est soulignée par deux photographies en particulier. La première, sur la page titre à l’intérieur du livre, montre un fil de fer barbelé traversant tout le cadre, à l’arrière duquel s’étale un paysage californien complètement flou. La seconde, quant à elle l’une des toutes dernières du volume, montre le grillage en fer d’une clôture, à l’arrière-plan duquel s’étale un paysage complètement flou représentant le Golden Gate Bridge de San Francisco. Cette sorte de mise entre parenthèse photographique de l’album est comme un aveu de l’auteur nous disant: «Voyez, j’y suis, mais quelque chose m’empêche d’y être!».

L’usage exclusif du noir et blanc accentue bien entendu ce ressenti. Car les couleurs de cette Amérique de légende, si nos yeux ne peuvent pas les percevoir dans « LOST », sont bien présentes dans notre mémoire, pour le coup collective, où abondent les souvenirs de tableaux d’Edward Hopper, de films tels que «Il était une fois dans l’Ouest» de Sergio Leone ou «Easy Rider» de Dennis Hopper, de clichés de William Eggleston. Derrière chaque photographie de Claude Dussez, il y a, latente, la même en Kodachrome 64!

 «Il ne reste que des souvenirs / Quelques frissons / Recouverts de poussière. —Nous n’avons pas même la dignité des ruines.» écrit Quentin Mouron dans le poème qui ajoute sa musique rugueuse à celle, plutôt romantique (puisque de ruines il s’agit) des photographies de Claude Dussez. Mais par l’hommage que le photographe rend à ces vestiges du rêve américain —en définitive plus émerveillé qu’affligé— un peu de cette dignité est préservée. Et c’est sa façon à lui, en nous conviant à suivre ses pas, à suivre ces traces, de nous rappeler ce principe universel notant que, pour retrouver quelque chose, il faut d’abord l’avoir perdu.

Livre

Claude Dussez «LOST»
Editions Favre
44.- CHF

Claude Dussez

Quentin Mouron


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