«Auréolé d’un prix important, Yann Gross nous invite à un voyage initiatique et technologique en Amazonie péruvienne»

Le photographe Yann Gross a reçu, le 21 septembre 2019, un des cinq Prix culturel vaudois décernés par la Fondation vaudoise pour la culture. D’un montant de 20.000 CHF, il permettra au lauréat de financer ses travaux futurs qui seront, dit-il, «moins anthropocentrés», et plus diversifiés, vu son intérêt grandissant pour la vidéo ou les installations. En attendant il lève un voile sur son nouveau projet intitulé «Aya», coréalisé avec sa compagne Arguiñe Escandón, et à découvrir en novembre prochain.

Sorti de l’ECAL avec un master sous le bras en 2007, Yann Gross a vu sa carrière véritablement prendre son envol en 2009, avec son projet très remarqué intitulé «Horizonville». On y découvrait des photographies qui semblaient avoir été prises aux Etats-Unis. Mais en réalité, elles avaient toutes été réalisées dans la Vallée du Rhône, à l’issue d’un périple en vélomoteur. Ce rêve américain valaisan jouait donc avec les frontières de la représentation, dans une sorte de surréel où les codes de lecture se troublent dans le même temps qu’ils confortent l’imagerie d’Epinal que nous avons tous du pays de l’Oncle Sam…

Le projet «The Jungle Show» (qui est devenu «The Jungle book», édité en 2016 conjointement chez Aperture, Actes Sud et Editorial RM), en 2016, est pour Yann Gross une autre manière d’interroger les mythes, celui de l’Amazonie en l’occurrence. Ce qui reste de la figure du «bon sauvage» en notre mémoire collective d’Occidentaux, ou de celles du conquistador (en particulier Francisco de Orellana, qui donna son nom à l’Amazone) et de l’Eldorado, est ici mis à l’épreuve de photographies subtilement mises en scènes. Lesquelles font surgir une Amazonie contemporaine qui garde son aura mystérieuse tout en montrant que la forêt cache sans doute un réel moins romantique…

Le prix que vient de décerner à Yann Gross la Fondation vaudoise pour la culture récompense donc un photographe qui manie avec finesse son art. D’une part en utilisant habilement ses genres (le documentaire, la mise en scène, le portrait, le paysage, etc.), d’autre part en secouant nos représentations du monde contemporain en régénérant l’univers de contes et légendes qui les ont forgées. Le lauréat est évidemment: très heureux de cette récompense: «Les prix nous permettent de réinvestir et de relancer certains projets, commente-t-il. Quand vous êtes photographe ou artiste, il y a une grande partie de votre travail qui consiste en la recherche de fonds… Aujourd’hui la presse est morte. A part si vous travaillez pour «National Geographic». Il est donc difficile de financer vos projets par ce moyen.»

Reste que Yann Gross a déjà réalisé un nouveau projet. Celui-ci a pour titre «Aya». «C’est un mot qui veut dire fantôme, esprit et cadavre en langue amérindienne Kichwa, explique-t-il. Cette idée de titre est venue après la découverte d’une carte postale que ma compagne, Arguiñe Escandón, m’a envoyée. Elle représente Charles Kroehle, un photographe allemand qui fut le premier à travailler sur l’Amazonie péruvienne et à nous en donner des images en 1888. Il n’est pas du tout connu et, selon la légende, il aurait disparu après avoir été atteint par une flèche tirée par un indigène.»

Le photographe veveysan nous invite donc une fois de plus à suivre les pas d’un personnage historique, et à redimensionner un monde perdu à l’aulne du temps présent. «L’imaginaire que l’on a de l’Amazonie est toujours le fait du colon, note Yann Gross. C’est pareil pour les recherches dans la science ou la médecine. Souvent ce sont les vainqueurs de l’histoire qui imposent leurs manières de faire et leurs savoirs. Rarement on va s’intéresser au savoir du vaincu, ou des minorités. Or il y a beaucoup de choses à apprendre de ce savoir-là qui n’est pas toujours valorisé à sa juste mesure. Cela dit, les compréhensions des choses des uns et des autres sont si différentes, qu’il est difficile de se comprendre. C’est sur ces questions-là que je travaille maintenant, en essayant d’être une sorte de lien entre ces deux mondes, de me nourrir de cela pour en tirer un travail artistique.»

Mais «Aya» aura également un autre prolongement. En effet, le photographe désire travailler avec La Becque, une résidence d’artistes située à La Tour-de-Peilz (VD) qui porte une attention particulière à des projets artistiques qui explorent les rapports entre la technologie et la nature. «En Amazonie, raconte en effet Yann Gross, j’ai exploré un procédé photographique que je désire développer avec eux. Il s’agit réaliser des tirages photographiques en utilisant du jus de plantes dont j’exploite les propriétés photosensibles. C’est un procédé qui avait été inventé en 1842 par Herschel, sous le nom de «anthotype». En Amazonie, j’ai constaté que certaines tribus savaient tout à fait que la chlorophylle des feuilles réagit au soleil et, du coup, se dégrade. D’où j’ai fait l’hypothèse que les principes de la photosensibilité étaient peut-être connus en Amazonie bien avant qu’ils ne soient découverts en Europe!»

Pour en savoir plus sur ce voyage à la fois historique, mythologique, technologique et initiatique en Amazonie péruvienne, il faudra attendre le mois de novembre. Durant lequel sortira le livre «Aya» (aux éditions Editorial RM), lequel sera présenté tant à Paris Photo (du 7 au 10 novembre) qu’à l’occasion d’une exposition à la Galerie Wilde à Genève.

Yann Gross

Fondation vaudoise pour la culture

La Becque

Galerie Wilde
Rue du Vieux-Billard 24, Genève
Exposition du 17 novembre 2019 au 9 janvier 2020

Ouverture:
Jeudi et vendredi de 14 à 18h
Samedi de 11 à 17h


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