«Avec Robert Frank, c’est une certaine idée de la liberté de voir qui disparaît»

Photographie © Marc Trivier.

Alors que l’on vient d’apprendre la disparition, à l’âge de 94 ans, du photographe et cinéaste zurichois Robert Frank, c’est forcément son reportage dans l’Amérique des années 1950 qui refait surface dans notre mémoire. Regroupées dans «Les Américains», livre publié en 1958 chez Delpire et devenu culte, ces images ont désormais pris un tour nostalgique par leur évocation d’une époque où l’on était plus libre qu’aujourd’hui de photographier…

Pour nombre de photographes contemporains, Robert Frank est une icône. Parce qu’en publiant chez Delpire en 1958 «Les Américains», ce chef d’œuvre de l’édition photographique, il opère une révolution copernicienne du regard. Alors que l’objectivité était le maître mot de la photographie du milieu du XXe siècle, lui impose la toute puissance du subjectif. Il a dit dans de nombreuses interviews qu’il photographiait à l’instinct, sans chercher à montrer autre chose que ce qu’il percevait dans l’instant. Et ce en imposant de surcroît une distance avec ses sujets (il ne parlait pas avec les gens qu’il photographiait) et en se souciant peu, sinon pas, de perfection formelle.

Sa proximité avec la mouvance beatnik, symbolisée par son amitié avec Kerouac, a sans doute renforcé le mythe, dans une Amérique qui représentait pour lui l’espace enfin ouvert que sa Suisse natale trop étriquée lui refusait. Du coup on oublie à quel point, à sa parution, son livre fut honni aux Etats-Unis. Irrecevable était sa vision teintée d’ironie, mais surtout pessimiste, de ce pays qui se voulait celui du progrès et de la liberté.

Avec l’équipe de photographes de la Farm Security Administration, Walker Evans — dont Frank fut plus tard l’assistant — avait déjà montré une Amérique plongée dans la Grande Dépression des années 1930. Le reflet dans le miroir tendu par Robert Frank a été sans doute reçu comme un deuxième coup de poing. Il a fallu que le temps passe, et que la photographie se fasse définitivement une place dans le monde de l’art, pour que l’on comprenne, outre-Atlantique, que «Les Américains» relevait plus de la poésie que du documentaire pur et dur, et que Frank avait une longueur d’avance.

Maintenant qu’il n’est plus, il sera temps de découvrir que son œuvre est bien plus large que ce seul monument avéré, qui cache une forêt foisonnante. Son travail cinématographique, ses derniers travaux plus intimistes, ou même ses images du Pérou réalisées à la fin des années 1940, montreront la taille réelle de ce géant de la photographie du XXe siècle.


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