«Ce qui intéressait René Burri, c’était la photographie en tant que telle.»

Oui, on peut évidemment y voir sa photo iconique du «Che au cigare». Mais différemment, et surtout pas au moyen d’un tirage d’exposition. C’est que l’intention de la nouvelle exposition du Musée de l’Elysée, intitulée «René Burri, l’explosion du regard», est de nous faire découvrir la richesse du Fonds René Burri, dont elle a la charge depuis la création de la Fondation du célèbre photographe zurichois en 2013. Le spectateur est ainsi invité à un voyage, organisé par thèmes, dans l’univers multifacette d’un des photoreporters les plus important du XXe siècle. Nous avons pu rencontrer son épouse, Clotilde Blanc-Burri, bien évidemment présente à Lausanne le jour de l’inauguration, et lui poser quelques questions.

Christophe Fovanna: Quel est selon vous l’héritage que laisse René Burri aux générations de photographes présente et future ?

Clotilde Blanc-Burri: Son regard. Beaucoup de photographes m’ont dit que René leur avait beaucoup appris par sa façon unique de faire ses photos et de les cadrer.

C. F.: Précisément, dans les photographies de René Burri, on voit l’influence du formalisme de l’école de Zurich, celle de Cartier-Bresson et de son instant décisif, de la tradition humaniste. Mais quelle était à vos yeux l’originalité de son regard sur le monde? Autrement dit qu’est-ce qui fait qu’une photo de Burri est reconnaissable entre toutes?

C. B.-B.: Je pense que ses études à la Gewerbe Schule de Zurich lui ont donné une structure pour composer ses photographies. Il était graphiste à la base et il dessinait très bien. Et cela se ressent dans ses photos. Il les construisait. Il ne faisait aucune photo posée. Il avait toujours un appareil autour du cou et quand il sentait quelque chose qui bougeait autour de lui — il avait toujours l’œil très attentif — alors il construisait sa photographie. Et ensuite il attendait qu’il se passe quelque chose qui lui convienne.

C. F.: Autrement dit, il voyait l’image dans sa tête avant de la faire et posait le décor avant qu’il s’y passe quelque chose… Et pourtant il disait de lui qu’il était «le plus rapide des lents», signalant par là que s’il aimait prendre du temps pour faire une photo, il savait aussi ne pas rater le moment de la faire!

C. B.-B.: Oui, il attendait qu’une personne entre dans le cadre, ou que la lumière soit bonne, quitte à revenir à un autre moment au même endroit. Dans les photos couleurs, il attendait que surgisse une pointe de rouge ou de bleu. Mais cela c’était quand il faisait des photographies «personnelles». Evidemment, quand il était en reportage, comme par exemple dans le désert avec Sadate et Nixon, évidemment qu’il allait vite…

C. F.: Le photographe Mark Henley m’a dit un jour que pour lui la photographie était une danse, parce qu’il faut trouver une manière de tourner autour de son sujet. Quelle serait la danse du photographe René Burri?

C. B.-B.: …Une valse plutôt!

C. F.: Quand il photographiait sa famille, portait-il sur elle le même regard que lorsqu’il faisait un reportage ou un portrait?

C. B.-B.: René était extrêmement attaché à sa famille et à ses enfants. Nous sommes sa deuxième famille avec mon fils, mais nous formons une seule grande famille avec les enfants qu’il a eus avec Rosellina Bishof-Burri. Il a toujours fait beaucoup de photos de sa famille, mais également beaucoup de la famille de Magnum. Tous les ans Magnum se réunissait le dernier week-end de juin et René était le photographe qui prenait les photos du groupe. C’est lui qui a initié ce rituel. Il aimait se souvenir des bons moments passés ensemble.

C. F.: Diriez-vous, que le regard de Burri sur le monde était plutôt optimiste ou pessimiste?

C. B.-B.: Optimiste! Il a toujours vu le bon côté des choses. Il n’a jamais voulu être photographe de guerre, Ce qui l’intéressait c’était l’humain et même s’il photographiait des gens pauvres ou dans des situations tragiques, il les mettait toujours en valeur, montrait qu’ils étaient respectables.

C. F.: Quels mots, selon vous, qualifieraient le mieux le regard de René Burri?

C. B.-B.: Positif, bienveillant, généreux…

C. F.: La peinture intéressait hautement René Burri, au point que c’est une voie qu’il a envisagée avant celle de la photographie. Mais quels étaient les peintres qu’il aimait particulièrement. Et l’ont-ils influencé dans son travail de photographe ?

C. B.-B.: Celui qui l’a particulièrement influencé c’est Picasso! Il l’avait découvert en 1953 à l’occasion d’une rétrospective du peintre à Milan. Alors il a voulu le rencontrer. Cela a mis quatre ans avant que ce soit possible. C’était en 1957 à Nîmes, durant une corrida. Et je peux ajouter que les peintres ou les artistes qu’il aimait, il les a tous rencontrés. Et quand il avait décidé de rencontrer quelqu’un, il allait jusqu’au bout pour y parvenir!

C. F.: René Burri a toujours accordé une grande importance aux relations humaines et détestait l’idée de voler une image. Quel homme social était-il au quotidien?

C. B.-B.: Il aimait beaucoup avoir des contacts avec les gens, mais, d’un autre côté il aimait bien aussi être tranquille. D’un côté c’était un contemplatif et de l’autre quelqu’un aimait être dans le «faire». Et pour cela il avait besoin de beaucoup de calme. Il aimait être seul pour créer. Je parle là des moments où il dessinait, ou peignait. Il faisait également beaucoup de maquettes de livres, revoyait ses photos ou ses planches contact. Il aimait la vie sociale, mais, si on n’avait rien de prévu, il était très content!

C. F.: Quelle était sa technique pour ne pas se cacher derrière l’objectif ?

C. B.-B.: Parce qu’il Il avait déjà la photo dans le viseur, tout d’un coup, il regardait ailleurs et déclenchait!

C. F.: «Quand on est jeune, on croit que l’on va changer le monde et, avec le temps, on devient plus humble.» a-t-il confié à un journaliste. Fondamentalement, à quoi donc servait la photographie aux yeux de René Burri? A témoigner? A donner son opinion? A seulement rendre-compte d’une certaine réalité?

C. B.-B.: Je pense que quand il était jeune, il avait envie de changer le monde. Il n’enjolivait jamais, ni ne construisait un décor pour prendre sa photo. Ce qui l’intéressait c’était l’humain et la composition. Il parlait souvent de son travail sur les Allemands, ou son reportage sur le canal de Suez par exemple, qui étaient très importants à ses yeux. C’étaient des moments exceptionnels de sa vie, donc de bons souvenirs. Quand on est là au bon moment et au bon endroit, c’est évidemment formidable.

C. F.: En plongeant dans les archives de votre mari, avez-vous découvert une part de lui que vous ignoriez?

C. B.-B.: Ah oui, j’ai découvert beaucoup de choses après son décès! Parce que son œuvre lui appartenait quand il était vivant et moi, en plus, je ai travaillé dans l’édition d’affiches et de cartes postales jusqu’en 2012. Je connaissais ses photos, bien entendu, mais je ne travaillais pas avec lui. Et puis, après sa disparition, ça m’a appartenu quelque temps, si je puis dire. Tout d’un coup j’étais libre, et je pouvais tout regarder. Parce que quand j’étais éditrice de cartes postales, mon rôle était de chercher des photos véhiculant des émotions particulières, véhiculant des émotions et des messages. J’avais donc une façon très particulière de regarder les photographies, très différente de la sienne. Tout a changé quand j’ai plongé dans les archives de René. J’ai ainsi découvert toutes ses photos du Brésil que je connaissais peu, et l’importance qu’elles ont dans son œuvre.

C. F.: L’expo est une rétrospective, mais elle est organisée par thèmes. Pourquoi ce choix?

C. B.-B.: Ce n’est pas vraiment une rétrospective. L’exposition est basée sur le fonds déposé au Musée de l’Elysée et géré par lui, et son but est précisément de montrer les richesses de ce fonds. Le premier document montré est l’acte de naissance de René et l’exposition se termine avec le dernier dessin qu’il a réalisé, à l’hôpital, le 15 octobre 2014. En suivant sa ligne de vie, des thèmes sont explorés comme l’enfance, l’école, le cinéma, les rencontres qu’il a faites, Magnum, les photos de famille, etc. Par ailleurs ce n’est pas une exposition de beaux tirages bien encadrés. On y voit des tirages plastiques, des tirages de lecture, des vintages abimés, des tirages modernes… Tout cela est mélangé parce que ce qui l’intéressait c’était la photographie en tant que telle.

«René Burri, l’explosion du regard»
Musée de l’Elysée, Lausanne

Du 29 janvier au 3 mai 2020 (prolongée jusqu’au 1er juin 2020 (entrée libre).

Le Musée de l’Elysée a adopté une série de mesures d’hygiène pour assurer la santé de toutes et de tous. Afin de respecter les règles de distances, le nombre de visiteurs sera limité à l’intérieur du musée à 50 personnes. Des mesures particulières ont été prises pour assurer une circulation fluide dans les espaces d’exposition. Cependant, des files d’attente peuvent être possibles, spécialement les week-ends. Afin d’éviter les horaires d’affluence, nous vous invitons à favoriser les visites en semaine.
Le musée reste ouvert aux heures habituelles, le Café Elise et la librairie sont fermés. Les visites guidées et les événements sont annulés jusqu’à nouvel ordre.

Musée ouvert du mardi au dimanche de 11h à 18h. Dernière admission à 17h30
Nocturnes jusqu’à 20h chaque dernier jeudi du mois
Entrée gratuite

Catalogue

René Burri «L’explosion du regard»
Editions Noir sur Blanc
49.- CHF

René Burri à l’agence Magnum


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