«Claudia Andujar photographie en chamane pour mener son combat en faveur de la tribu amazonienne des Yanomami»

Née à Neuchâtel, la photographe brésilienne Claudia Andujar présente à la Fondation Cartier à Paris, puis au Fotomuseum de Winterthur, une exposition consacrée aux Indiens d’Amazonie, les Yanomami. «Claudia Andujar. La Lutte Yanomami», une exposition aussi artistique que politique au moment où le président du Brésil remet en cause la présence de la tribu amérindienne dans la forêt amazonienne…

On la dit partout et nulle part. Au fil du temps, elle a photographié. Entre reportage de presse et travail personnel quasi militant. A 88 ans, Claudia Andujar fait escale à Paris à la Fondation Cartier —œuvre architecturale toute en glaces et transparence signée Jean Nouvel— et cet été, on la retrouvera à Winterthur au Fotomuseum. Une escale en majesté pour une exposition sobrement intitulée «Claudia Andujar. La Lutte Yanomami», une expo déjà présentée à l’Institut Moreira Salles de Sao Paulo en 2018. Là, on y découvre pas moins de trois cents photographies, toutes consacrées aux Yanomami, une tribu d’Amazonie qui compte aujourd’hui à peine trente mille membres. Une tribu, une photographe, deux destins…

Se déplaçant difficilement, Claudia Andujar est tenue pour une des grandes photographes du siècle. Elle est née Claudia Haas en 1931 à Neuchâtel d’un père juif hongrois propriétaire d’une entreprise et d’une mère Suissesse protestante. Le père est souvent absent, et la famille va vivre en Transylvanie, région du centre de la Roumanie. En 1944, alors âgée de 13 ans, Claudia voit son père et sa famille paternelle emmenés par les nazis direction les camps de concentration de Dachau et d’Auschwitz où ils disparaîtront… Avec sa mère, elle fuit vers la Suisse et quelque temps plus tard en 1946, son unique oncle survivant l’accueille à New York. Trois ans plus tard, elle se marie avec un ami de lycée, Julio Andujar. Après quelques mois, ils divorcent mais elle décide de garder le nom de son ex-mari. En 1954, elle retrouve sa mère installée au Brésil; elle peint, elle découvre la photographie et, boîtier en main, elle fixe les habitants de son nouveau lieu de résidence. Elle dit: «J’ai besoin d’un moyen d’expression et de communication depuis que je suis petite. J’ai toujours vécu seule». Elle photographie, des journaux américains — «Life», «Look», le «New York Times Magazine» — et un hebdomadaire brésilien, «Realidade», achètent ses reportages et à New York dès 1970, elle est représentée par l’agence de presse photographique Rapho-Guillomet.

Toutefois, sa vie va basculer en 1971. Un reportage en Amazonie. Chez les Yanomami, une des tribus qui peuplent la forêt amazonienne. Pour les approcher, elle va se fondre dans leur décor. S’habiller comme eux qui s’enveloppent de vêtements végétaux. En 1973, débarquent les ouvriers dépêchés pour la construction d’une route transamazonienne par le gouvernement brésilien qui n’a pas prévu de programme de santé préventif. Débarquent aussi les «garimpeiros» (les orpailleurs clandestins) — surgit la mort, conséquence de grippe, rougeole, tuberculose, violences en tous genres… Claudia Andujar ne veut pas voir sa «deuxième famille» victime d’un nouveau génocide. «Les sauver est devenu le but de ma vie», confie-t-elle. Compagnon de lutte de la photographe, l’anthropologue Bruce Albert ajoute: «La rougeole, c’est 60% d’un village qui se retrouve malade en quelques jours. C’est une vision de l’enfer, une vraie guerre bactériologique! Quand à l’or, on peut considérer que la vie des Yanomami est indexée sur son cours». Avec l’aide son ami missionnaire Carlo Zacquini, elle met en place une campagne de vaccination, photographie hommes, femmes et enfants à qui, pour les identifier, elle met un numéro autour du cou: ce seront les «marcados», les «marqués». Malaise pour cette photographe dont la famille paternelle a disparue dans les camps nazis — elle confie: «Mon père et sa famille ont été numérotés pour aller à la mort. Moi, j’ai donné des numéros aux Yanomami pour les sauver, pour rester en vie…» Elle dit aussi: «Je suis liée aux Indiens, à la terre, à la lutte première. Tout cela me touche profondément. Tout me semble essentiel. Peut-être ai-je toujours cherché la réponse au sens de la vie dans ce noyau fondamental. J’ai été poussée là-bas, dans la forêt amazonienne, pour cette raison. C’était instinctif. C’est moi que je cherchais».

Dans les yeux de Claudia Andujar, des moments de vie des Yanomami. Sur les murs de l’exposition, des images qu’elle a construites, le flash, des poses longues… «Il y avait une atmosphère magique et c’était important de communiquer cette atmosphère. J’ai beaucoup travaillé sur la manière dont la lumière entrait dans les maisons». Claudia Andujar, photographe-chamane… «J’ai absorbé des Yanomami leur vision chamanique, c’est exactement ce que je voulais reproduire. Oui, j’ai essayé la poudre hallucinogène, cela donne une vision différente, comme dans mes photographies». Alors, surces plus de trois cents clichés mis en scène, ce sont les paradis perdus, l’amour, la forêt… En 1978, avec ses amis Bruce Albert et le missionnaire italien Carlo Zacquini, elle fonde la CCPY — Commission pour la Création du Parc Yanomami —, qui demande au gouvernement la délimitation d’un large territoire indien. Ce qui sera mis en place quinze ans plus tard. Ce qui est remis en cause, depuis son élection à la présidence brésilienne l’an passé, par Jair Bolsonaro qui, explique Bruce Albert, «encourage de façon obscène et explicite l’invasion des orpailleurs illégaux, des coupeurs de bois clandestins et autres mafias incendiaires»… La lutte continue pour Claudia Andujar, la photographe qui, dès les années 1950, n’hésitait pas à gonfler les ASA ou encore enduire ses objectifs de gélatine ou de vaseline, à jouer du flou, à user de la superposition (sans jamais en abuser); plus tard dans les années 1970, elle utilisera la pellicule infrarouge pour photographier les cimes et l’habitat collectif (de 30 à 250 personnes dans une maison…). Pour mémoire, cette pellicule infrarouge était également utilisée par le gouvernement brésilien mené par des militaires pour les missions d’exploration géologique en Amazonie, et permettait de repérer les gisements. Et c’est ainsi que Claudia Andujar a fixé la forêt amazonienne, toute rose comme tachée de sang. C’est ainsi que Claudia Andujar a mené son combat pour les Yanomami: avec les armes de l’ennemi… Alors, au crépuscule de sa vie, Claudia Andujar le promet: la lutte continue, et elle la photographe ne lâchera rien. Ce qui fait dire à Davi Kopenawa, chamane et porte-parole des Yanomami: «Les peuples non indigènes ont besoin de preuves, sinon ils ne croient pas. Alors regardez ces photos, elles sont les preuves de ce que nous sommes».

«Elle m’a appris à défendre mon peuple»

A l’occasion de l’exposition consacrée à Claudia Andujar par la Fondation Cartier, il a fait le voyage de l’Amazonie jusqu’à Paris. Davi Kopenawa est chamane et porte-parole des Yanomami, co-fondateur de l’Association Hutukara Yanomami et lauréat du Right Livelihood Award reçu à Stockholm en 2019. Pour le catalogue de l’expo, il témoigne et raconte son amie Claudia Andujar.

Portrait de Davi Kopenawa dans l’espace d’exposition de la Fondation Cartier, à Paris, 2020 @Thibaut Voisin

«Claudia Andujar est venue au Brésil, elle est passée par São Paulo, puis par Brasília et Boa Vista avant de parvenir jusqu’à la terre Yanomami. Elle est alors arrivée à la mission Catrimani. Elle a pensé à son projet, à ce qu’elle ferait, à ce qu’elle planterait. Comme on plante des bananiers, comme on plante des anacardiers. Elle portait les vêtements des Indiens, pour se lier d’amitié. Elle n’est pas Yanomami, mais c’est une véritable amie. Elle a pris des photographies des accouchements, des femmes, des enfants. Puis elle m’a appris à lutter, à défendre mon peuple, ma terre, ma langue, les coutumes, les fêtes, les danses, les chants et le chamanisme. Elle a été comme une mère pour moi, elle m’a expliqué les choses. Je ne savais pas lutter contre les politiciens, contre les napë pë («les non-amérindiens», NDLR). C’est bien qu’elle m’ait donné un arc et une flèche non pas pour tuer des Blancs, mais l’arc et la flèche de la parole, de ma bouche et de ma voix pour défendre mon peuple Yanomami. Il est très important que vous regardiez son travail. Il y a beaucoup de photographies, beaucoup d’images de Yanomami qui sont morts, mais ces photographies sont importantes afin que vous connaissiez et respectiez mon peuple. Celui qui ne le connaît pas connaîtra ces images. Mon peuple est là, vous ne lui avez jamais rendu visite, mais l’image des Yanomami est ici. C’est important pour vous et pour moi, pour vos fils et vos filles, pour les jeunes, les enfants, pour apprendre à regarder et à respecter mon peuple Yanomami brésilien qui habite sur cette terre depuis si longtemps».

«Claudia Andujar. La Lutte Yanomami»
Fondation Cartier pour l’Art Contemporain

Exposition jusqu’au 10 mai 2020 (prolongée jusqu’au 13 septembre 2020)

Heures d’ouverture:
mardi, de 11h à 22h;
du mercredi au dimanche, de 11h à 20h.
Tarif plein: 11.- €. Tarif réduit: 7,50 € (étudiants, -25 ans, +65 ans,). Gratuité pour enfants (-13 ans, -18 ans le mercredi, Laissez-passer Fondation Cartier, carte d’invalidité).

Fotomuseum Winterthur

Exposition du 23 octobre 2021 au 13 février 2022

Heures d’ouverture:
mardi, jeudi, vendredi, samedi et dimanche, de 11h à 18h;
mercredi, de 11h à 20h.

Tarif: 10.- CHF (gratuit le mercredi entre 17h et 20h). Gratuit tous les jours pour les enfants et jeunes de moins de 16 ans.

Catalogue

Claudia Andujar «La lutte Yanomami»
Édition Fondation Cartier pour l’art contemporain, Paris
40.- €


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