☰ Éditorial

C’est cette image que le Swiss Press Award a désignée «photo de l’année». © Yves Leresche

Yves Leresche, chantre de la lenteur

Le Lausannois a été nommé photographe suisse de l’année 2020

Il y a peu, on apprenait qu’Yves Leresche avait obtenu le Swiss Photo Award dans la catégorie «Actualité», pour son reportage consacré à la grève des femmes en juin 2019, et paru dans L’Illustré. Le voici désormais auréolé d’un autre laurier, puisque la Fondation Reinhardt von Graffenried, qui délivre ces prix, vient de l’élire «Photographe suisse de l’année 2020»! C’est un honneur qu’il mérite amplement et dont je me félicite. Mais il y a quelque chose d’autre de réjouissant dans cette nouvelle…

Et cette autre chose, n’est pas que ce soit un homme que l’on récompense pour un reportage sur la grève des femmes. Un fait qui a d’ailleurs provoqué quelques réactions, compréhensibles en un sens, dont celle d’un groupement de 32 «photographes femmes et non-binaire», qu’on peut suivre sur Instagram (@wir_nous) et qui ont édité un livre à partir de leurs images. Non, ce qui est vraiment réjouissant dans cette affaire c’est que le titre de Photographe suisse de l’année soit allé à Yves Leresche!

En effet, le lausannois est dans le milieu une sorte d’oiseau rare. Il ne sont plus guère, comme lui, à privilégier un photojournalisme d’immersion, qui demande de prendre son temps avant de déclencher, avant d’aboutir à un reportage fini. Parfois beaucoup de temps! Je sais, pour l’avoir souvent entendu prononcé (et pas toujours de manière positive), qu’on affuble Yves Leresche de l’étiquette de «photographe des Roms». Cela fait, effectivement, largement plus de vingt ans qu’il se consacre à cette communauté, dont il nous a fait découvrir l’intimité dans plusieurs livres et expositions. Dans un monde qui va toujours plus vite, avide de «consommer» de l’image avant de rapidement s’en débarrasser, lui trace son chemin à contre-courant, au risque d’en pâtir dans un landernau où la compétition fait rage.

Du coup, couronner Yves Leresche, c’est faire dans le même temps une sorte d’éloge de la lenteur. Par les temps confinés qui courent, bon nombre de photographes ont dû apprendre à ralentir le pas. Pour une fois, Yves Leresche avait une bonne longueur d’avance sur eux.


D’autres articles publiés sur la page « éditorial » :

Gilbert Vogt en action durant un concert des Young Gods. Fribourg 2009. © Claude Dussez

«Chaque photo cache un photographe»

Hommage à Gilbert Vogt

12 AVRIL 2020 PAR CHRISTOPHE FOVANNA, JOURNALISTE

Avant d’être un art, la photographie est d’abord un «acte». C’est qu’il se passe quelque chose quand le déclic intervient et que, soudainement, la photographie est faite. Et ce geste est une conséquence de ce qui se passe juste avant, ce moment que Denis Roche appelait «la montée des circonstances», dont on peut dire qu’il est la manifestation —consciente ou non — de l’esprit et de la présence d’un photographe.

Dire que derrière chaque photographie il y a un photographe tient de la lapalissade… Mais aujourd’hui que le nombre de photographies prises chaque jour se traduit en milliards, notre rapport à la photographie a radicalement changé. Sauf à être un photographe célèbre, ou un happy few dans un monde de l’art lui-même passablement submergé, l’«auteur» d’une photographie disparaît plus souvent qu’à son tour derrière elle.

Moi qui, de par mon intérêt particulier pour la photographie, suis en principe très attentif aux crédits, ne suis pas totalement épargné par la tendance générale. Je m’en suis rendu compte il y a quelques semaines en apprenant le décès de Gilbert Vogt. En cherchant un peu, j’ai constaté que je connaissais certaines de ses images. Mais pas son nom! Pourtant, on est avec lui en présence d’un photographe de haut vol qui a notamment rapporté des reportages de grande valeur de Suisse, bien entendu, mais également d’Afrique, d’Inde, du Moyen-Orient ou d’Amérique latine.

En ces temps inédits de confinement, il sont nombreux, les photographes indépendants, artistes ou photojournalistes, à souffrir de ne plus pouvoir exercer pleinement leur métier et à craindre pour leur futur. Rappelons-nous donc qu’ils sont les témoins indispensable de ce qui se passe dans le monde et de notre humanité. Et n’oublions surtout pas, ou plus, en ouvrant un journal, un magazine, ou en surfant sur Internet, de regarder qui se cache derrière chaque photographie. Sinon, pour paraphraser le titre du film de Kubrick, le risque est grand de ne regarder les photographies que «les yeux grand fermés».

A Palerme, le quartier populaire de Vucciria est très prisé pour se rencontrer et faire la fête. Sicile 2019. © Gilbert Vogt