«Guillaume Perret photographie l’amour en alchimiste de l’indicible»

Avec «Amour», le Neuchâtelois Guillaume Perret explore un phénomène que nous connaissons tous, mais dont les mécanismes profonds restent mystérieux. Loin d’essayer de le percer à jour, il nous propose plutôt l’exploration de son expression la plus naturelle, comme le ferait le botaniste avec un herbier. Parce qu’il a su ne pas se cacher derrière son objectif, le photographe réussit une série magnifique de pudique impudeur.

Tenter de relier «les trois éléments qui échappent encore à la priorité du rationalisme — l’art, l’amour et le fonctionnement du cerveau — afin d’exalter l’indicible.»… Tel est l’ambitieux projet d’«Amour », le livre du photographe neuchâtelois Guillaume Perret récemment paru aux éditions ACT, à Genève. Projet qui, par les termes mêmes qui le composent, nous plonge d’emblée dans une atmosphère de quête alchimique.

En effet, au fil des pages, c’est bien au creuset de notre imaginaire qu’il est demandé d’extraire la substantifique moelle du sentiment amoureux. A notre disposition, les quatre éléments fondamentaux: air, eau, terre et feu. Lesquels sont présents autant dans des photographies de «nature» — telle celle d’un rideau soulevé par un courant d’air (et qui me rappelle beaucoup celle, de rideau également, qui inaugure «La Chambre claire» de Roland Barthes…), du bouillonnement d’une rivière, d’une paroi rocheuse ou d’un immense feu de camp — que dans certains des portraits qui constituent l’essentiel de l’ouvrage.

Entrent encore dans la composition chimique du livre des images de tissus nerveux réalisés par Stéphane Pages au moyen d’un microscope de toute nouvelle génération, dit « à feuille de lumière ». Appellation bien poétique pour des documents de très haute valeur scientifique qui ressemblent étonnamment à certaines photographie de galaxies obtenues par des télescopes spatiaux. Une manière sans doute pour Guillaume Perret de nous rappeler qu’il y a un monde entre l’infiniment petit de nos cellules et l’infiniment grand de l’univers de l’amour.

Des photographies «voilées–dévoilantes»

Enfin, il y a du texte, pour encadrer et nourrir les photographies de Guillaume Perret. En ouverture, une préface de George Kouvas, spécialiste en neurotechnologie, qui admet que «[…] quand bien même nous expliquerions un jour avec objectivité toutes les corrélations neuronales de l’amour, son mystère restera vif, en tant que «façon d’aimer» vécue différemment par chacun.» Le vif-argent c’est donc ce mystère qui échappe, et échappera toujours, à toute analyse logique, et qui fait que l’amour se transforme en or par le truchement de nos façons d’aimer. Et ce sont bien ces façons multiples que capte l’objectif de Guillaume Perret. Lequel fait preuve, dans son travail, d’une délicatesse remarquable. Ses images, voilées–dévoilantes, montrent les corps et les âmes comme ils sont, dans leur état de nature, pourrait-on dire, pour autant que l’on admette de cet état qu’il comporte autant de dits que de non-dits…

Trois textes en prose poétique signés Esther Sarre, Lausannoise connue notamment pour son compte Instagram «La femme aux livres», viennent en contrepoint des photographies évoquer le corps amoureux, les corps qui s’enlacent, le corps qui ressent ou ne ressent plus, qui s’abandonne à l’instant ou retrouve des sensations et des gestes enfouis dans sa mémoire cellulaire.

Et pour clore, Luc Debraine, journaliste et actuel directeur du Musée suisse de l’appareil photographique à Vevey, livre une postface qui raconte le parcours de Guillaume Perret vers la photographie ainsi que la genèse du projet «Amour». Le signataire souligne avec justesse qu’en nous offrant une part de leur intimité, les modèles de Guillaume Perret  «entendent partager […] un simple appel à la tolérance.» Et d’ajouter : «C’est un moyen de suggérer que les critères de norme, de différence, d’altérité, de catégorisation de telle ou telle sexualité sont eux-mêmes stigmatisants. Nous nous aimons, c’est tout.»

Le livre de Guillaume Perret est donc à la fois aussi simple et aussi complexe que le sujet dont il traite. C’est une carte du tendre qui invite à s’y perdre, à la quitter pour mieux y revenir. C’est, pour le dire encore autrement, une invitation à la danse des corps et des cœurs, qu’on referme avec plus de questions que de réponses. Le pari de l’auteur «d’exalter l’indicible» est donc réussi.

Livre

Guillaume Perret «Amour»
ACT Editions, Genève
40.- CHF

Guillaume Perret


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