«Quand Nicolas Bouvier raconte le monde du coin de l’œil…»

Portrait de Nicolas Bouvier © Photopress-Archiv STR – Keystone.

Les éditions Héros-Limite de Genève viennent de publier «Du coin de l’œil. Ecrits sur la photographie», ouvrage qui regroupe divers textes — préfaces, articles de presse, introductions, etc. — dans lesquels l’écrivain et iconographe Nicolas Bouvier raconte le monde à la lumière de son rapport à l’image et à la photographie. Deux cents pages délicieuses à déguster sans modération.

Quel bonheur que de suivre les pas de Nicolas Bouvier dans ce petit livre de 200 pages. Celui-ci, intitulé «Du coin de l’œil» et regroupant les écrits sur la photographie de l’iconographe genevois, est en effet un véritable bain de jouvence. C’est que ce «dilettante en tout», devenu «Un voyageur qui écrit et non un écrivain qui voyage», possède le génie du griot captant son auditoire. Quelques mots lui suffisent pour nous emporter dans son univers où les images regorgent de sens, de sensations et de vie.

Mais ce génie tient aussi dans le goût de Nicolas Bouvier pour une certaine photographie. «Je ressens une opposition radicale entre la photo intellectuelle dont j’ai médit et la photo-récit qui déclenche rêveries et questions», écrit-il, après avoir précisé que «Pour celui qui regarde, une bonne photographie doit satisfaire à trois besoins: émotions, plasticité, information.» De fait, ces trois besoins, il permet aussi au lecteur de les assouvir, grâce à sa prose érudite, virevoltante, barrée de traits d’humour et toujours empreinte de poésie. Il y a des pépites qui se cachent dans chacun de ces textes, comme lorsqu’il nomme fort joliment «traversants» ces personnages qui peuplent tant de photographies, entrés dans le cadre par ici et qui s’en vont résolument en sortir par là… Et nous sommes heureux de découvrir avec lui «[…] que les exigences de la photo sont exactement les mêmes que celles de l’écriture: il faut se mettre en état de vision, avoir confiance, être relié au sujet […]. Se promener dans un beau pays avec une excellente caméra, c’est bon, mais ça ne suffit pas.»

La photographie qu’aime l’auteur, et dont il nous parle si bien, n’est donc pas intellectuelle, ou «minimaliste» comme il la nomme également (aujourd’hui, dirait-il «contemporaine»?). Elle est humaniste et silencieuse («J’aime beaucoup ces images qui se présentent le doigt sur la bouche […].», ou, ailleurs, «[…] les photos de guerre de Capa sont des hurlements silencieux.»). Elle est par ailleurs modeste et sans maniérisme dans la mesure où «Seuls [les photographes] qui respectent absolument la nature des choses peuvent ensuite, avec quelque profit, s’interroger sur les rapports qui s’établissent entre elles. La caméra sert donc à interroger le monde, à en reconstituer la synthèse, plutôt qu’à l’enfermer dans le carcan d’un style ou d’une école, entreprise stérile et réductrice dans laquelle il entre souvent une part de vanité.» Dès lors, «Comme dans les bonnes calligraphies chinoises, la «signature de l’artiste» apparaît malgré lui, dans la mesure ou il a su s’oublier.»

Enfin, pour Nicolas Bouvier, la photographie c’est aussi une affaire d’amitié avec les photographes. Ils ont entre autres pour noms Jean Mohr, Daniel Vittet, Nicolas Faure, Marcel Imsand, Alan Humerose, Jacques Thévoz, Daniel Baudraz ou encore Ella Maillart, avec laquelle il partageait un même amour de l’Asie. Et c’est régal toujours de déguster les fines analyses de l’écrivain, qui s’égarent souvent en analogies, tissent des ponts avec ses souvenirs innombrables et précieux d’iconographe, nous perdent dans le foisonnement des ruelles de sa pensée, pour finalement nous faire retomber sur nos pieds, avec le sentiment d’avoir mieux vu, et plus loin.

«Les bonnes photographies, nous dit encore Nicolas Bouvier, se passent généralement de commentaires et rien de ce qu’on peut écrire à leur sujet ne saurait dispenser d’aller les voir. En revanche, il n’est pas inutile d’examiner la démarche du photographe et les raisons du regard qu’il porte sur les choses». On ne saurait mieux dire est c’est bien pourquoi on recommande chaudement la lecture de ce livre-écrin dans lequel, pour être observée du «coin de l’œil», la photographie n’en est pas moins révélée sous ses plus riches atours.

Couverture du livre © LDD

Livre

Nicolas Bouvier «Du coin de l’œil. Ecrits sur la photographie»
Editions Héros-Limite
19.60 CHF


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